L’interview Grand Angle : Philippe Carles, Président de Terres d’EFC

Avez-vous déjà entendu parler de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC) ? Cette tendance émerge actuellement dans le monde économique et notamment chez les entrepreneurs désireux de s’engager dans une démarche de développement Durable. Nous avons rencontré Philippe Carles, pionnier dans ce domaine et Président de Terres d’EFC.

Quelle est votre/vos entreprise(s) ?

« Je suis le président d’Isovation, société avignonnaise depuis 1990, nous fabriquons des emballages pour le transport de produits thermosensibles.

Comment votre offre a-t-elle évolué avec votre démarche dans l’EFC et donc de développement durable ?

J’ai créé la société Ship track and Control qui est la trajectoire vers l’EFC d’Isovation.

« Cette nouvelle société vise à faire baisser les risques de rupture de la chaîne du froid chez ses clients, contrairement à Isovation qui est centré sur la fabrication d’un emballage isotherme ».

Nous travaillons aujourd’hui avec un écosystème regroupant des entreprises permettant d’offrir aux clients d’Isovation ce que l’on appelle une offre intégrée. Nous organisons tout le transport, avec  nos entreprises partenaires (commissionnaires aux transports, aux douanes…) avec une maîtrise totale du transport.

Comment cela fonctionne exactement ?

« Le fait de connaître le plan de transport, nous permet de conceptualiser sur mesure une solution isotherme qui sera la moins possible consommatrice de matières premières, c’est un premier impact environnemental »

On a également apporté de l’objet connecté avec un enregistreur de données – de température, de lumière, de pression, de CO2 – S’il y a un problème dans le transport, STC est en mesure de connaître le risque de rupture de la chaîne du froid et en accord avec notre client, on prend la décision d’aller ou non jusqu’au bout du transport ou de mettre le colis en chambre froide ou de revenir au point de départ.

Cela permet de ne pas perdre toute la cargaison, parfois c’est des camions à plusieurs millions d’euros, c’est quand même intéressant d’éviter de les jeter…

Quelles sont les entreprises pouvant se lancer dans une démarche EFC pour changer comme vous leur modèle économique ?

Ce que l’on peut dire sur l’accompagnement des entreprises, c’est qu’aujourd’hui toutes les entreprises peuvent être accompagnées sur une trajectoire EFC ! Par contre, il faut que ce soit le bon moment, il faut qu’elles rentrent dans l’EFC à un certain moment de leur vie, par une porte qui ne sera pas la même pour tout le monde.

On rentre pas dans l’EFC parce qu’on a le couteau sous la gorge, parce que l’on n’en peut plus et qu’on est proche du dépôt de bilan parce que l’EFC demande énormément d’investissement pour le chef d’entreprise et pour ses collaborateurs. Tous dans l’entreprise devront valider le modèle. Ce n’est pas le chef d’entreprise qui part tout seul c’est tous les collaborateurs de l’entreprise qui doivent suivre.

Quel est l’impact sur vos collaborateurs ?

Tout ce qui est moins de maladie, ou moins d’absentéisme sera difficilement mesurable à Isovation, parce qu’on avait déjà cette chance d’avoir un taux très faible d’absentéisme et de maladies, pas de turn over non plus. Il y a avait une culture de l’entreprise depuis le début faisant que l’on arrive à ses résultats humains aujourd’hui. 

Par contre nous avons pu les rendre un peu plus participatif dans ce qu’ils font, participant au bien-être des personnes. Les commerciaux déplacent le discours vers la fonctionnalité, sur l’usage et les gains en termes de coûts et non plus sur la simple vente du bien avec ses problématiques de prix. Les collaborateurs à la fabrication sont aujourd’hui forces de propositions dans ce qu’ils font car ils savent à quoi cela va servir, on leur parle maintenant de l’usage, on n’est pas que là pour fabriquer une boîte isotherme.

« Il y a vraiment tout un mécanisme, une énergie qui s’est mis en place dans l’entreprise, que tout le monde a validée, et on part tous vers l’EFC. »

A quelles limites de votre activité l’EFC s’est proposé de répondre ?

D’un terrain de jeu sur lequel était Isovation qui était très réduit, nous étions coincés entre deux acteurs, le fournisseur et ses exigences mettant à mal la marge d’Isovation, nous sommes allés sur un terrain de jeu beaucoup plus grand, sur lequel il n’y a pas de concurrence et où les marges peuvent encore se faire car on apporte une vraie solution, un vrai résultat, ce qu’attendait le client, la fonction pour laquelle il sollicitait Isovation, aujourd’hui le client le trouve au sein de STC.

« Toutes les problématiques peuvent être abordées avec l’EFC : problématiques de déchets, de volumes, de transition énergétique, de transport, de santé et de bien-être au travail, sur la culture, le patrimoine… »

L’une des actions de l’EFC c’est de recréer du lien entre le territoire et l’entreprise. En ce qui me concerne, j’ai pris conscience quand j’ai mis un pied dans l’EFC, que j’étais dans un territoire et qu’il fallait que je l’aide et que ce soit vraiment un territoire privilégié.

Aujourd’hui ce territoire nous aide également en retour, nous avons le soutien de l’ADEME et de la Région Sud que ce soit avec le Club Terres d’EFC ou avec STC.

Pourquoi avez-vous créé le club Terres d’EFC ?

En tant que chef d’entreprise j’ai besoin que mes interlocuteurs, mes clients, mes fournisseurs et partenaires sur le territoire comprennent tous ce que nous pouvons apporter avec notre nouveau modèle, afin de favoriser une relation de confiance, il y a besoin de comprendre ce qu’est l’EFC. Il y a encore beaucoup de travail et en cela il est nécessaire qu’il y ait des clubs qui diffusent cette information et qui accompagnent d’autres entreprises à trouver leur trajectoire vers l’EFC. Ayant ce besoin, j’ai trouvé normal de créer ce club en Provence avec l’appui du Grand Avignon qui souhaitait que nous intervenions sur le Triangle d’Or – Avignon, Arles et Nîmes.

« J’ai mis un pied dans l’EFC en 2014, et puis on se rend compte que c’est un milieu dans lequel on y met le pied, la jambe, les deux jambes, les bras et on se fait complétement absorbé, mangé car c’est très passionnant, c’est constamment innovant ».

Innovant mais pas suffisamment de personnes sont au faite de ce qu’est l’EFC, c’est complexe à expliquer mais quand le chef d’entreprise se l’approprie et l’explique, explique sa démarche, c’est beaucoup plus parlant pour les autres chefs d’entreprise et les gens de la société civile.

On peut dire que vous êtes aujourd’hui un PRECURSEUR ?

J’ai été sollicité pour que Ship Track and Control témoigne au ministère de la transition écologique et solidaire dans le cadre de la nouvelle norme XP X30 901 par AFNOR Normalisation. J’ai fait part de notre expérience quant à la mise en œuvre d’un système de management visant à améliorer la performance environnementale, économique et sociétale.

J’ai surtout mis l’accent sur le domaine d’action privilégié de STC qu’est l’économie de la fonctionnalité et de la coopération en mettant en avant l’approche servicielle mise en œuvre afin d’aider les entreprises à minimiser les risques de rupture de la chaine du froid lors de l’acheminement de produits thermosensibles. 

Coopérer avec ses clients pour identifier les risques et trouver avec des partenaires compétents des solutions pertinentes afin de répondre aux attentes explicites et implicites des différents acteurs intervenant sur la chaine logistique.

J’espère que cette norme, encore expérimentale, sera bientôt accessible à d’autres entreprises afin que toutes puissent se poser les questions du développement durable grâce à cette articulation entre les enjeux économiques de rentabilité avec ceux de la transition écologique et sociétale ».

Crédit Photo : Najim Barika

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